N° 1885 - Oublie-moi par Jeanne Jonchières

Extrait : Les grappes d'or des mimosas tranchaient dans le bleu du ciel, mille parfums alourdissaient la nuit d'été : jasmins et roses, orangers et citronniers, qui investissaient ce coin de Côte d'Azur d'une luxuriante beauté. Une femme courait… Plus et moins qu'une femme : une apparition de rêve, vêtue de blanc avec trois grosses pastilles de velours noir sur la jupe en forme de crinoline. …

Extrait : Allongé sur le divan du studio, René Bertri fumait. Un pli au front, l'air soucieux, il regardait monter en spirales les volutes bleues de sa cigarette. De temps à autre ses yeux se posaient sur sa montre de poignet et à mesure que les minutes s'écoulaient l'impatience et l'inquiétude gagnaient le jeune homme. — Qu'est-ce que Martine eut bien faire ? se demandait-il, avec anxiété…

Extrait : Chaque fois que Madeleine entend l'ascenseur se mettre en marche les aiguilles de son tricot s'immobilisent et elle suspend presque son souffle pour tendre l'oreille. Est-ce lui, cette fois ? Non, l'arrêt se fait à un autre étage... et elle en est, à la fois, déçue et contente : déçue, parce qu'elle languit que Claude soit rentrée... et contente, parce qu'elle pourra faire encore quelques « rangs » de plus à son pull-over. Comment sera-t-il ce soir ? Ne sera-t-il pas trop fatigué par le métro et ses bousculades aux heures de « pointe », ses innombrables escaliers de correspondance ? Ne sera-t-il pas trop énervé par les leçons données à des aspirantes-pianistes qui n'ont pas la moindre disposition pour la musique mais qui, avant de savoir faire une gamme, sont impatientes de pouvoir jouer Tristesse de Chopin à leur première réception ? Ne sera-t-il pas trop démoralisé par une entrevue avec quelque directeur de théâtre ou quelque éditeur qui, après lui avoir prodigué de grandes louanges pour ses oeuvres, se sera répandu en soupirs pour se plaindre de la crise, des frais chaque jour plus lourds qui l'obligent à « ne miser que sur des noms connus du public »…